Un tableau de Nicolás Borrás à Parentis-en-Born

Une récente découverte à Parentis-en-Born nous permet de faire revivre une page d'histoire de l'art qui soulève un intérêt certain. Les membres d'un club culturel local ont redécouvert le vieux registre paroissial oublié pendant de nombreuses années, et qui a été tenu de 1866 jusqu'aux années 1950. Ce registre n'est pas à confondre avec celui des actes de baptêmes, mariages et sépultures, il était destiné à relater la vie de la paroisse et à consigner les récits et les souvenirs des anciens.

Nous sommes sous le règne de Louis-Philippe 1er et l'église se reconstruit après les épreuves que la Terreur révolutionnaire a fait subir aux monuments religieux et à leurs desservants. Les réparations de l'édifice parentissois ont attendu le milieu du XIXe siècle, quand la situation économique du Pays de Born commence à s'améliorer.

La fabrique1 de Parentis-en-Born se trouve être soutenue par des mécènes qui veulent restaurer la splendeur passée du monument en participant à son ré-ameublement et à sa décoration. Les noms de Dalis et Darmuzey sont restés dans les mémoires pour leur participation à l'achat des vitraux, et d'autres anonymes ont participé aux achats des autels, des statues et des confessionnaux.

Le registre paroissial nous apprend que l'abbé Lamarque acheta vers 1845 (la date n'est pas précise) des tableaux, mais il ne nous en décrit qu'un seul :

[page 17, § XXIII] La fabrique acheta des tableaux pour les autels. Le sujet de celui de l'autel principal est l'élection de St Mathias, présidée par le premier Vicaire de notre divin Sauveur. Il est dû au pinceau de Borras, peintre espagnol fort estimé, et il faisait partie de la riche galerie de Monsieur Aguado, banquier, décédé à Paris.

 Saint Pierre debout y présente deux pailles à Barsabas, surnommé le Juste, et à Saint Matthias, de qui le choix est manifesté par une langue de feu qui descend sur sa tête, et dont le vif reflet empourpre ses vêtements.

La Sainte Vierge et Saint Jean sont à la droite de Saint Pierre, Saint Lazare et sa sœur, Sainte

[page 18] Madeleine sont à sa gauche. Ces personnages à genoux prient le Tout Puissant de vouloir faire connaître l'Apôtre élu dans les décrets éternels, pour remplacer Judas.

[Dans la marge, page 18, autre écriture] Ce tableau a été enlevé de l'église en 1922. Il était totalement dégradé, la toile pourrie, presque plus aucune trace des personnages.

Ce tableau provient de l'exceptionnelle collection d'Alexandre Marie Aguado (1784-1842), marquis de Las Marismas del Guadalquivir, vicomte de Monte Ricco. Banquier espagnol, il entre dans l'armée française avec le grade de colonel comme aide-de-camp du maréchal Soult. Il sera naturalisé français en 1828. Maire d'Ivry-sur-Seine en 1831, il avait acquis un hôtel rue Drouot à Paris qui abrite aujourd'hui la mairie du 9e arrondissement et dans lequel il avait installé sa collection de peinture qui était ouverte au public. À sa mort, il laisse une énorme fortune et sa magnifique collection de tableaux, riche d'environ cinq cents toiles, principalement du siècle d'or espagnol. La mise en vente eut lieu en avril 18432.

Le tableau est dû au pinceau d'un des grands peintres valenciens du XVIe siècle, Fray Nicolás Borrás (1530-1610). Vers 1560, cet artiste de la Renaissance3 décide d'embrasser la vie sacerdotale. On lui reconnaît aujourd'hui près de 171 oeuvres présentes dans de nombreuses églises et musées.

Cette toile longtemps exposée dans l'église Saint-Pierre de Parentis-en-Born illustre une scène relatée dans les Actes des Apôtres. Il s'agit d'élire un remplaçant à Judas et seuls deux candidats se présentent :

1.23 Ils en présentèrent deux: Joseph appelé Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias.
1.24 Puis ils firent cette prière: Seigneur, toi qui connais les coeurs de tous, désigne lequel de ces deux tu as choisi,
1.25 afin qu'il ait part à ce ministère et à cet apostolat, que Judas a abandonné pour aller en son lieu.
1.26 Ils tirèrent au sort, et le sort tomba sur Matthias, qui fut associé aux onze apôtres.

Dans les traditions orientales, Joseph Barsabas (ou Barsabbas) est présenté comme étant un des quatre frères de Jésus. On en sait moins sur Saint Matthias, si ce n'est qu'il fut très tôt un des compagnons de Jésus. La scène de l'élection peinte par Borrás a été peu représentée, en particulier le geste de Saint Pierre effectuant le tirage au sort à l'aide des deux pailles et le choix divin marqué par la langue de feu qui descend sur sa tête.

Au fil des décennies, dans l'église humide de Parentis-en-Born le tableau s'est considérablement dégradé. Dans la marge du registre paroissial, une note précise que la toile est pourrie et on n'y reconnaît plus aucun des personnages. Le tableau a été enlevé de l'église en 1922, sans doute jeté ou détruit car il a complètement disparu. Il ne nous en reste que ce témoignage qui précise que cette oeuvre figurait en bonne place au maître-autel, jusqu'à sa déposition.

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1La « fabrique » était une assemblée chargée de l'administration des biens de la communauté religieuse de la paroisse.

2 Catalogue de tableaux anciens des écoles espagnole, italienne... statues... composant la galerie de M. Aguado marquis de Las Marismas... Vente 20... 28 mars 1843... / [experts] Dubois, Wéry, - Paris : impr. et lithogr. de Maulde et Renou, 1843. - 92 p.

3 Une exposition au Musée des Beaux-Arts de Valence intitulée « Nicolás Borrás (1530-1610) : un pintor valenciano del Renacimiento » lui a rendu hommage en 2010-2011. (http://bit.ly/2zfDmuV)

Gilles Dubus 2017

Article publié dans le Bulletin de la Société de Borda

2017, n°526, pp.256-257

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